RDC : entre violences communautaires et abandon économique, la plaine de la Ruzizi se meurt

Bafulero ou Barundi? Qui étaient là les premiers? Dans la plaine congolaise de la Ruzizi, à la frontière
avec le Burundi, le récit des origines des deux communautés nourrit depuis près d'un siècle une
violence ravivée de nos jours par la pauvreté et le chômage.
Se rendre aujourd'hui dans la Ruzizi, côté congolais, c'est plonger dans l'histoire douloureuse de l'exZaïre, qui fut colonie belge jusqu'en 1960.
Dans un paysage d’Éden, la plaine verdoyante de la Ruzizi s'étend autour de la rivière éponyme
marquant la frontière entre la République démocratique du Congo et le Burundi, des escarpements de
Kamanyola, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Bukavu, la capitale de la province du SudKivu, jusqu'à la pointe nord du lac Tanganyika.
"L'histoire des Barundi dans la plaine de la Ruzizi est longue. La première dynastie a commencé en
1750", assure d'une voix docte Claude Mirundi, chef murundi (singulier de barundi) du groupement de
Luberizi, en recevant à l'ombre d'un gros arbre.
Autour, sous le regard d'enfants inoccupés, des femmes préparent des racines de manioc qu'elles font
sécher sur un drap au soleil avant leur réduction en farine, tandis que quelques ouvriers travaillent à
l'érection de la tombe du "mwami" (roi) Ndabagoye, grand chef coutumier murundi assassiné en 2012.
M. Mirundi n'est pas favorable à ce que l'équipe de journalistes de l'AFP interroge les gens du village :
"Ce que le chef exprime est ce que la population doit penser", proclame-t-il.
Les habitants ont connu les espoirs de l'indépendance, le lent effondrement du pays sous la dictature de
Mobutu Sese Seko (1965-1997) à l'issue de cinq ans de guerre civile, la "guerre de libération" qui porta
au pouvoir à Kinshasa Laurent-Désiré Kabila, père de l'actuel président Joseph Kabila, et dès l'année
suivante l'enfer de la deuxième guerre du Congo (1998-2003).Difficile de discuter un peu longuement sans que revienne l'évocation des divers massacres commis
dans la région pendant tout ce temps et dont les responsables n'ont jamais été jugés.
- Village fantôme -
L'un des derniers en date a été commis à Mutarule, à un kilomètre de Luberizi. Trente-deux Bafulero,
principalement des femmes et des enfants, y ont été sauvagement tués une nuit de juin 2014.
La population a fui le lendemain et la localité est aujourd'hui un village fantôme envahi par les herbes
folles.
On retrouve une partie de ses habitants à Sange, localité du centre de la plaine. Assis sur un fragile banc
en bois un "mzee" (ancien) accepte de parler, à condition de ne pas être cité.
"Depuis la création du monde, les Bafulero vivent ici", déclare-t-il. "Les Barundi sont venus après nous
à la recherche de pâturages" pour leurs troupeaux.
"Ce sont des étrangers, leur pays c'est le Burundi, est-ce qu'il y a des Congolais au Burundi?", interroge
Didier, motard de 45 ans.
Le différend entre les deux communautés remonte à 1928, lorsque les Belges attribuent une chefferie de
la plaine aux Barundi, décision qui n'a jamais été acceptée par les Bafulero, très largement majoritaires.
Le système des chefs coutumiers, sur lesquels les Belges s'étaient appuyés pour gouverner le pays, a été
conservé après l'indépendance. Non-élus et se succédant la plupart du temps de père en fils, ces
potentats locaux peuvent lever des taxes, et surtout attribuer les terres des territoires sur lesquels ils
règnent.
Après une première révolte en 1929, les affrontements entre Bafulero et Barundi ont repris très vite
après l'indépendance.
Il y a d'abord eu la "guerre des chèvres" en 1961. "Les Bafulero ont tué toutes les chèvres des Barundi
pour les appauvrir", dénonce M. Mirundi. "Petite haine communautaire", rétorque en souriant le mzee à
Sange.
Depuis lors, la violence revient épisodiquement. Elle a connu un nouvel accès avec l'assassinat du
mwami des Barundi en 2012. Une enquête est en cours pour trouver les coupables, mais comme
beaucoup d'autres au Congo, elle n'a produit encore aucun résultat.
Le conflit se complique avec la présence dans la plaine d'autres communautés et de divers groupes
armés. Ainsi, les rebelles hutus burundais des Forces nationales de libération (FNL) et les
Banyamulenge, éleveurs tutsi du même groupe linguistique que les Barundi, sont-ils accusés par les
Bafulero de prêter main forte à ces-derniers.Plusieurs milices Bafulero sont accusées au sein même de leur communauté de se livrer davantage au
vol, au banditisme et à divers trafics qu'à la protection des leurs.
Aujourd'hui, "la situation est calme" depuis quelques mois, assure-t-on de toute part aux étrangers de
passage. Comprendre : vous pouvez circuler le jour mais gare à vous dès la nuit tombée.
A Sange, il n'y a ni eau courante, ni électricité - comme dans la plupart du pays - et jeunes et vieux
traînent dans les rues poussiéreuses.
Bafulero comme Barundi reconnaissent que le coeur du problème n'est pas tant la question de la
direction de la chefferie que l'absence de perspectives économiques.
Sous couvert d'anonymat, plusieurs jeunes accusent le gouvernement, l'armée et la police de ne pas
faire leur travail, et reprochent aux "politiciens" locaux d'instrumentaliser le conflit à des fins
personnelles et de recruter des miliciens parmi les jeunes désœuvrés.
Ancien ingénieur agronome, le "mzee" raconte la fermeture progressive des différentes entreprises
locales, dont l'outil de production fut pillé par les dirigeants puis les employés à partir de la décennie
1980 jusqu'à la plus tragique de toutes: celle au milieu des années 1990, de la sucrerie de Kiliba, dans le
sud de la plaine.
En traversant les quartiers des ouvriers puis des ingénieurs, on devine ce qu'a pu être la vie ici quand la
sucrerie employait 3.500 personnes, et 2.000 saisonniers à l'époque de la récolte.
Aujourd'hui, nulle trace de culture de canne alentours. Derrière la clôture de l'usine à la structure
rouillée, des tracteurs flambant neufs témoignent d'une tentative avortée de redémarrage de l'activité.
Tout ici respire une certaine nostalgie. "A l'époque, on mangeait comme un Blanc" (trois fois par jour),
se souvient Daniel qui avait dix ans lors de la fermeture de l'usine.
- 'On mangeait comme un Blanc'

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