« Le dialogue, ce n’est pas pour gouverner avec Kabila mais pour garantir des élections fiables »

Alors qu’il continue à se déclarer le « président élu » en 2011 et que l’UDPS, son parti, dénie toute
légitimité à Kabila et au parlement qu’il considère issus d’une fraude électorale, Etienne Tshisekedi a
surpris son monde en appelant au dialogue avec… Joseph Kabila. Hasard malheureux du calendrier, cet
appel a été fait alors que la rue était en train de faire plier le pouvoir sur une révision de la loi électorale
qui allait permettre indubitablement à Joseph Kabila de s’octroyer une rallonge de son mandat. Faute
politique ou juste une bévue stratégique, Afriqu’Échos est allé requérir l’éclairage de Félix Tshisekedi,
secrétaire national aux relations extérieures de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).
Compte-rendu d’une longue interview téléphonique avec notre rédacteur en chef Botowamungu
Kalome.
AFRIQU’ÉCHOS MAGAZINE (AEM) : Si on vous retire votre patronyme, qu’est-ce qui ferait encore
votre légitimité au sein du parti et en RDC ?
FÉLIX TSHISEKEDI (FT) : Comme ça, je serais coupable d’être le fils de mon père ? Vous n’allez pas
vous y mettre vous aussi (rires). Ça ne serait pas juste, moralement et intellectuellement, de créer un
délit de patronyme, un délit de filiation. Oui, je suis le fils de mon père et fier de l’être. Cela a-t-il joué
dans mon ascension au sein du parti ? C’est possible, mais j’ai un vécu et un parcours qui plaident pour
moi car, par la force des choses, j’ai subi la politique toute mon enfance, toute mon adolescence, toute
ma jeunesse. Tout cela m’a aguerri. Souvenez-vous : en 1983, je faisais déjà partie de la suite de mon
père lors de sa première relégation, par Mobutu, à Mumpopa, dans le territoire de Kabeya Kamwanga,
au Kasaï Oriental. Le combat politique s’est imposé à moi, j’y baigne depuis toujours. Les gens
oublient que mon père, ma famille et moi avons subi le régime atroce de Mobutu et le régime des
Kabila ne nous a pas ménagés non plus. Vous avez vu comment mon père a été mis dans une prison à
ciel ouvert après avoir gagné les élections en 2011 ? Toutes ces épreuves m’ont grandi et les instances
du parti ne m’auraient pas confié les relations extérieures si je n’en avais pas l’étoffe.
AEM : Ça vous pèse qu’on vous le répète souvent ? FT : Non, c’est à moi de faire de la pédagogie, c’est à moi à faire mes preuves. Vous savez
contrairement à d’autres, mon premier mandat dans les institutions n’a jamais été le fait de prince, ni un
cadeau paternel (sourire malicieux)… J’ai été élu député, en faisant campagne tout seul et avec un
discours politique qui n’avait fait aucune référence à ma filiation.
AEM : C’était sans doute plus facile pour vous de vous faire élire dans cette circonscription où le nom
de votre père a dû quand même peser ?
FT : Il faudra peut-être que je m’excuse de m’appeler Tshisekedi ? (Sourire). Je ne peux non plus
m’amuser à dire que ma filiation ne m’apporte rien, mais il faut relativiser les choses. Mais rappelezvous, alors qu’il n’y avait aucune échéance électorale en vue, j’ai fait la tournée des provinces à la
rencontre des Congolais. Quand, au Kasaï des foules en liesse sont venues m’accueillir et m’écouter,
certains ont dû souligner que j’étais chez moi avec les miens. Mais, je suis allé ensuite au Katanga
prétendument acquis à Joseph Kabila, il y a eu la même mobilisation, le même engouement. Et je vais
continuer cette tournée en avril dans les provinces de l’Est. Certains sont arrivés aujourd’hui au plus
haut sommet de l’Etat sans avoir organisé la moindre réunion politique, même dans le salon de leur
maison… Et ceux-là n’en sont capables qu’en puisant dans les caisses de l’Etat et en achetant des
soutiens factices.
AEM : Votre parti considère toujours Etienne Tshisekedi comme le président élu en 2011, alors que la
rue était en train de faire plier la majorité présidentielle sur la révision de la loi électorale, vous
appelez au dialogue avec Joseph Kabila ? C’est un peu déroutant…
FT : Si l’UDPS avait rejeté le 1+4, ça ne serait pas pour accepter une formule similaire aujourd’hui
avec un pouvoir finissant, impopulaire, fébrile et qui perd son sang-froid à la moindre contestation. Le
dialogue que nous appelons ne vise nullement à cogérer le pays avec Kabila, mais uniquement à
travailler dans un cadre serein et républicain à la préparation des élections transparentes et fiables.
L’organisation des élections ne pourrait être un objectif en soi, le penser serait s’accommoder de tous
les dysfonctionnements et tricheries qui ont faussé le résultat en 2011 et en 2006. Il faut arrêter cette
spirale néfaste qui fournit des prétextes à des forces négatives qui choisissent les armes mais en se
parant des revendications appelant à l’instauration d’une vraie démocratie. Notre parti fait le choix des
discussions apaisées maintenant plutôt que de crier au loup après coup.
AEM : Comment pourriez-vous dialoguer avec Kabila si vous ne le reconnaissez pas toujours comme
le président élu ? FT : Nous ne faisons pas de fixation ni sur la personne de Kabila, ni sur cette élection de 2011 même si
c’est très douloureux pour nous en tant que démocrates de voir perdurer cet état de faits. Si vous lisez
notre feuille de route, vous verrez que nous soulignons que « les élections de 2011 ont eu le mérite de
configurer politiquement la classe politique congolaise et de recadrer la ligne de démarcation claire
entre ceux qui soutiennent le système en place et leurs alliés, d’un côté, et ceux qui réclament la vérité
des urnes, de l’autre. » A partir du moment où nous pensons que la crise politique actuelle tire son
origine de ce contentieux électoral, nous préconisons un dialogue entre les tenants du statu quo et nous
autres qui prônons le changement. AEM :  Le dialogue pour quel résultat ? Pourquoi ne pas concentrer vos forces plutôt dans la
préparation des échéances électorales à venir ?
FT : L’un n’empêche l’autre, les deux doivent justement s’emboîter. Par deux fois, la vérité des urnes a
été tronquée. Cette fois nous avons le devoir patriotique et moral de prévenir une nouvelle fraude. Le
dialogue que nous appelons de nos vœux vise uniquement à préparer des élections fiables et à instituer
de la cohérence et de la logique dans le cycle des prochaines consultations électorales. Il faut retenir
également que nous proposons la présence à ce dialogue du représentant du secrétaire général des
Nations-unies et chef de Monusco.
AEM : Concrètement, de quoi sera-t-il question ou plutôt quelles seraient les exigences que vous allez
présenter à ce dialogue ?
FT : Chaque partie sera représentée par 20 personnes. Dans nos propositions, nous demandons que
soient écartés de l’ensemble du processus électoral tous ceux qui étaient mêlés de près ou de loin à la
fraude de 2011. Ensuite, nous proposons que l’on commence par l’élection présidentielle couplée avec
les législatives. Et pour éviter toute fraude, nous demandons que la CENI soit composée d’une manière
paritaire de 6 personnes désignées par chaque camp. Quant aux 9 membres de la cour constitutionnelle,
il faudrait qu’ils soient nommés par consensus.
AEM : Le recensement avant les élections aurait peut-être permis d’avoir un fichier électoral fiable…
FT : Il y avait dans ce projet des arrière-pensées pour se maintenir au pouvoir, le peuple l’avait compris
et l’avait exprimé avec hardiesse et fermeté. Vous connaissez le résultat…
Par contre, nous souhaitons un audit externe pour analyser le fichier électoral et une révision pour
obtenir un fichier électoral inclusif qui tiendrait compte des nouveaux majeurs, des non-inscrits, des
Congolais de l’étranger et des doublons. Nous tenons également à la présence obligatoire des témoins
dans tous les bureaux de vote et que des copies des procès-verbaux leur soient remises à la fermeture
des bureaux. Nous appelons également à la mise en place d’un observatoire pour certifier les résultats,
celui-ci serait composé notamment de la Monusco, de l’église catholique, de l’AETA et des ONG
actives sur la thématique des élections.
AEM :  Cet appel au dialogue a jeté un trouble chez beaucoup, notamment auprès de ceux qu’on
appelle « combattants » en Europe…
FT : Je comprends cette réaction, le mot dialogue est malheureusement associé dans notre pays au
partage du gâteau entre politiques supposés opposés entre eux. Nous avons compris qu’il nous faut
communiquer, expliquer pour clarifier notre position. Nous leur devons ça, car vous savez l’histoire
saura leur être reconnaissante de la détermination qu’ils ont montrée dans la dénonciation des velléités
de l’occupation de notre pays et dans leur lutte contre la dictature. J’ai le plus grand respect pour leurs
motivations et pour leur combat même s’il faut reconnaître que certains de leurs discours et de leurs
actions ont suscité émoi et controverses. Je regrette évidemment les dissensions qui ont traversé ce
mouvement car c’est toujours unis qu’on est plus forts. Je signale également que nous avons déjà commencé la campagne de vulgarisation de la Feuille de
route à Kinshasa et nous allons l’intensifier. De même, en ma qualité de secrétaire national chargé des
relations extérieures, j’ai entrepris une tournée des diplomates accrédités à Kinshasa pour leur en parler.
Je vais continuer cette campagne à l’extérieur auprès des Congolais de l’étranger.
AEM : Certains n’ont pas hésité à parler de la corruption par le pouvoir…
FT : Si l’argent était notre moteur, nous ne serions pas en dehors des institutions. Nous aurions des
ministres et des mandataires publics qui auraient permis à notre parti de se constituer un trésor de
guerre pour les élections et pour des enrichissements personnels comme beaucoup l’ont fait durant le
1+4. Sur cette question, les faits parlent pour nous et depuis l’époque de Mobutu déjà.
AEM : Vous pensez que Kabila et la majorité présidentielle répondront favorablement à votre demande
de dialogue.
FT : Ils n’ont pas le choix car nous exprimons fidèlement, par cette démarche, les aspirations du peuple
congolais qui pourrait toujours, s’ils s’entêtaient, les leur exprimer directement comme en janvier
dernier.

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