"JE N’AI JAMAIS VU AUTANT DE DÉTRESSE ET DE TERREUR"

David Crunelle donne son passeport. Il est au comptoir d’enregistrement des bagages, dans le hall des départs de l’aéroport de Bruxelles à Zaventem (Belgique). Photographe professionnel, il travaille pour une agence de communication et a l’habitude de voyager. Il est 7h58, mardi 22 mars. David est prêt à partir au Japon pour une mission de 15 jours. Il regarde autour de lui. C’est la cohue classique avant les départs. A l’entrée, il y a deux militaires armés. Leur présence ne rassure pas cet homme de 36 ans. "Cela ne sert à rien", songe David.
Soudain, un gros bruit de pétard.  Une explosion. C’est là, tout près. A une vingtaine de mètres de lui. Le plafond s’effondre. David voit la poussière sur son pantalon. Ses oreilles sifflent. Le moment a duré trois secondes. Puis une explosion, encore. A 20 mètres de la première. Il voit des débris de verre sur le sol autour de lui. "Il se passe ce qu’on redoutait tous. Je comprends tout de suite. Je prends conscience que c’est une attaque", témoigne-t-il.

"JE N’AI JAMAIS VU AUTANT DE DÉTRESSE ET DE TERREUR"

David observe les visages autour de lui. "Je n’ai jamais vu autant de détresse et de terreur chez des adultes. Ils étaient en plein cauchemar." Une fumée épaisse et blanche envahit le hall. Plusieurs personnes tiennent des enfants dans leurs bras. Des pleurs. Des voix aiguës, qui crient à l’aide. Il voit des gens en sang par terre. Ils ne peuvent pas se déplacer.
David n’a pas le choix : il faut courir et sortir de cet enfer. Des rumeurs circulent : un tireur est peut-être encore sur les lieux. David arrive devant l’arrêt minute de l’aéroport, envoie un SMS à sa famille. Il fait des vidéos, prend des photos. Pour lui, c’est un réflexe.
La situation est chaotique. Confuse. Autour de David, c’est le brouhaha. Les sifflements persistent dans son oreille. On parle de morts, de blessés. Selon un bilan communiqué mardi après-midi, 14 personnes ont perdu la vie et 96 ont été blessées. Les autorités belges ont diffusé la photo de trois hommes suspectés d’être les auteurs de l’attaque. Ils apparaissent sur les images de vidéosurveillance habillés de noir ou de beige. Deux sont gantés, le troisième est coiffé d'un chapeau.
EVN
Des témoins parlent de tirs à la kalachnikov avant les deux explosions. Dans son communiqué de revendication, le groupe Etat islamique indique que "des combattants (...) ont ouvert le feu". Un employé de la sécurité des bagages dit avoir entendu des cris en arabe . Pas David, qui est formel. "Si quelqu’un avait hurlé, je l’aurais entendu", assure-t-il.
La police et les militaires déplacent David et les autres rescapés à un endroit. Puis un autre. Finalement, ils se retrouvent dans un gymnase à 1,5 km de l’aéroport. Un centre de crise est aménagé. Il tente de voir un médecin pour son oreille. Mais il y a beaucoup, beaucoup de blessés.

"IL FALLAIT COURIR. C’ÉTAIT UNE QUESTION DE VIE OU DE MORT"

Pendant ce temps, Vanessa est sur le tarmac de l’aéroport, avec d’autres rescapés. Un moment de soulagement après la panique. Elle est belge, âgée de 41 ans, enseignante. Vanessa a un vol pour Dublin. Elle part pour évacuer la pression : l’arrestation de Salah Abdeslam, vendredi, a créé un stress dans la ville de Bruxelles. Le principal suspect des attentats du 13 novembre à Paris a été interpellé à Molenbeek, un quartier de la capitale belge.
Vanessa arrive tôt à l’aéroport. Elle s’enregistre, passe le contrôle des bagages sans problème. Elle se retrouve en salle d’embarquement un peu avant 8 heures. Elle a le temps de prendre un café et s’assoit. Elle entend le bruit sourd d’une explosion. Elle ne comprend pas. Le personnel de l'aéroport demande aux personnes présentes de se diriger rapidement vers le fond du terminal. C’est là qu’elle prend la mesure de la situation.
"Il fallait courir. C’était une question de vie ou de mort. J’ai eu peur, très peur." A la peur, cède l’hystérie. "Il y a eu un mouvement de panique et même de colère. Car on a vu que seuls le personnel avec des badges pouvait sortir par une sortie de secours." Des passagers protestent, essayent de forcer la porte. En vain. Les voyageurs sont finalement évacués sur le tarmac via une passerelle. "Une seule porte pour évacuer tout un terminal !" s’exclame Vanessa. Sur le tarmac, la situation est mieux gérée. Les secours distribuent des couvertures de survie. Ils donnent de l’eau et de la nourriture aux enfants.
Des centaines de passagers sont évacués après l'attaque de l'aéroport de Zaventem, près de Bruxelles (Belgique).

"IL FAUT QUE JE SORTE D'ICI"

En plein cœur de Bruxelles, la nouvelle de l’attaque de l’aéroport commence à se répandre. Charles Declercq, critique de cinéma pour la radio RCF, se rend tout de même à la projection presse du film Batman vs Superman. Il saute de justesse dans une rame de métro, à la station Schuman, et s’assied avec un livre dans le wagon de tête. Serein. Soudain, alors que sa rame arrive à l’arrêt Maelbeek, il ressent un puissant chocIl est 9h11 et une nouvelle attaque vient de frapper le quartier européen de Bruxelles.
Il faut quelques secondes à Charles Declercq, déboussolé, pour"comprendre que c’est une explosion". Par miracle, il n’est pas blessé : une vitre du wagon est tombée sur ses jambes, sans se briser. Dans le reste de la rame, c’est la panique. Le wagon est plongé dans le noir. Même s’il est"totalement assourdi" par la déflagration, le journaliste "entend des gens crier autour de lui".
Charles Declercq aperçoit une lampe torche qui s’approche. "J’évacue mes passagers", hurle le conducteur de la rame dans son téléphone, en lui faisant signe de le suivre. Plusieurs personnes enjambent le rebord de la fenêtre du wagon pour rejoindre le quai. D’autres restent "recroquevillées au sol", tétanisées.
 Une rame à la station Maelbeek du métro de Bruxelles (Belgique), le 22 mars 2016. La Stib, qui exploite le réseau, a confirmé à francetv info qu'il s'agissait bien de la rame touchée.
Une rame à la station Maelbeek du métro de Bruxelles (Belgique), le 22 mars 2016. La Stib, qui exploite le réseau, a confirmé à francetv info qu'il s'agissait bien de la rame touchée.(DR)
Brian Carroll, un consultant en communication, est lui aussi à terre, peut-être dans la même rame que Charles. "Je comprends tout de suite qu’on est attaqué par des terroristes", raconte-t-il au New York Times (en anglais).Après une ou deux minutes, cet Américain se décide à se relever. Il parvient à ouvrir les portes de la rame manuellement et se précipite à l’extérieur. "Il faut que je sorte d’ici", panique-t-il.
Brian Carroll se rue vers les escalators, qui ne fonctionnent plus. Sous ses pieds, les éclats de verre craquent. Le dernier wagon de la rame qui quittait la station Maelbeek est éventré. Une fumée âcre a envahi la station, rendant l’air presque irrespirable. "C’est comme courir au milieu d’un nuage de poussière", songe-t-il en montant les escaliers.

"JE VEUX JUSTE RENTRER CHEZ MOI"

De l’autre côté de la station Maelbeek, une rame est arrêtée en pleine voie. Evan Lamos, qui a senti le souffle de la déflagration quelques secondes plus tôt, écoute le message du conducteur. Il parle d’un "incident sur la ligne". Les passagers patientent quelques longues minutes. Angoissés.
L’ordre est finalement donné d’évacuer la rame. Evan Lamos descend sur les voies, à peine éclairées. Des pleurs d’enfants résonnent dans le tunnel. Tout en filmant la scène, le journaliste aide une mère à évacuer son fils, assis dans une poussette. Au bout de quelques minutes, ils parviennent à la station Arts et Lois, où des messages d’évacuation tournent en boucle dans les hauts-parleurs. C’est la délivrance.
EVAN LAMOS / EUROACTIV
A quelques centaines de mètres de là, Brian Carroll se retrouve lui aussi à l’air libre. Mais il ne s’arrête pas pour autant. L’Américain "court aussi loin qu’il peut", jusqu’à l’immeuble Berlaymont, avant de s’autoriser enfin une pause. Il appelle un ami. "Je suis un peu secoué, mais je vais bien", rassure-t-il.
Charles Declercq est, lui, encore debout devant la station Maelbeek. Autour de lui, des blessés sont assis sur le trottoir, l’air hébété. D’autres commencent à prendre des photos de l’entrée du métro, d’où s’échappe une épaisse fumée noire. "Je veux juste rentrer chez moi", s’étrangle le journaliste, sous le choc. Sans attendre les secours ou la police, il part à pieds vers son appartement, situé à 20 minutes du quartier européen.

"CETTE ATTAQUE N'EST PAS VRAIMENT UNE SURPRISE"

Il entend les premières sirènes résonner rue de la Loi. Devant la station Maelbeek, les secours traitent les blessés à même le sol, laissant des traces de sang et des monticules de compresses sur le trottoir. La police, elle, boucle le quartier Schuman. "Eloignez-vous ! Dégagez !", hurlent les policiers, fusil d’assaut à la main.
Devant la station de métro Maelbeek, à Bruxelles, le 22 mars 2016.
Devant la station de métro Maelbeek, à Bruxelles, le 22 mars 2016. (FRANCESCO CALLEDDA / EPA)
Une vingtaine de personnes ont perdu dans la vie dans l’attaque. Plus d’une centaine d’autres ont été blessées. Les ambulances emportent les passagers qui peuvent être déplacés alors que d’autres sont emmenés dans le hall de l’hôtel Thon, tout proche, où la Croix-Rouge a installé un centre de secours. Dissimulés derrière un drap blanc, les médecins font de leur mieux pour venir en aide aux victimes de la déflagration.
A 200 mètres seulement du lieu de l’explosion, Peter Wallin observe l’agitation depuis une fenêtre de la Commission européenne. Les employés sont confinés à l’intérieur du bâtiment jusqu’à nouvel ordre. "Après les attentats de Paris, cette attaque n’est pas vraiment une surprise… Mais, même en étant en sécurité ici, on est forcément sous le choc." Sous ses yeux, les drapeaux européens sont déjà mis en berne devant la Commission européenne. La Belgique a annoncé trois jours de deuil national.
Les drapeaux européens sont mis en berne devant le siège de la Commission, à Bruxelles.

"BRUXELLES TRIOMPHERA DE L’OBSCURANTISME"

Le ministère de l’Intérieur belge active un centre de crise. Il demande à la population de rester confinée et de cesser de circuler. Les transports publics ferment. Il est presque 10h30, Bruxelles devient une ville morte . Les rues commerçantes se vident. Des militaires sont déployés. La sécurité est renforcée dans les centrales nucléaires en Belgique, mais aussi dans les aéroports, gares et transports en commun à Paris. Les trains Thalys sont à l’arrêt.
L’émotion gagne la population, tout comme la classe politique. Charles Michel, le Premier ministre belge, condamne des attentats "aveugles, violents et lâches". Des mots qui trouvent un écho particulier à Paris, la capitale jumelle, endeuillée il y a quatre mois par des attentats. La maire de la capitale, Anne Hidalgo, annonce que la tour Eiffel sera illuminée aux couleurs de la Belgique dans la soirée. Puis le président de la République prend la parole. "C'est toute l'Europe qui est frappée", déclare François Hollande à la mi-journée.
Au même moment, David regagne son domicile bruxellois. Un ami est venu le chercher en voiture. Son oreille siffle encore, mais il se sent soulagé. "Je ne me plains pas par rapport à ceux que j’ai vus à terre. Je suis content d'être sorti de là. J'ai eu beaucoup, beaucoup de chance." Son téléphone ne cesse de sonner : sa famille, les médias… David n’a qu’une envie : manger une pizza. Le quotidien doit reprendre le dessus. "Il n’est pas question de me terrer chez moi. J’essaie de prendre un avion pour le Japon dès que possible. La vie continue."
"Bruxelles triomphera de l’obscurantisme", insiste Yvan Mayeur, le bourgmestre de la capitale belge. C’est aussi le message de centaines de Bruxellois qui se sont recueillis devant les marches de la Bourse, mardi en fin après-midi. Sur ce lieu traditionnel de rassemblement, une mère et ses deux enfants allument en silence une petite bougie et la déposent aux côtés d'autres. Mises l'une à côté de l'autre, elles forment un cœur. "Bruxelles est belle" : le slogan est écrit à la craie, sur le sol, juste à côté.

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