FDLR : une guerre pour relancer le chaos ?

C‟est avec une certaine résignation qu‟on assiste aux prémices d‟une nouvelle opération d‟envergure dans l‟Est du Congo, officiellement pour mener la traque aux rebelles hutus rwandais des FDLR. L‟opération, bien évidemment, va générer de nouveaux drames individuels et collectifs dont le Congo, pour une fois, se serait bien passé. En effet, rares sont les voix qui osent assumer le fait qu‟une action militaire contre les FDLR, à ce jour, n‟est ni indispensable, ni porteuse de solutions durables au problème que pose leur présence, qu‟il ne s‟agit nullement de cautionner, par ailleurs. En réalité, les autorités de Kinshasa et la Monusco vont mener cette opération pour « se conformer »aux pressions du président rwandais Paul Kagame, qui menaçait d‟envoyer, à nouveau, ses troupes dans l‟Est du Congo.
Du coup, les responsables onusiens versent dans la rhétorique guerrière, tandis qu‟un climat anxiogène est entretenu dans les médias, comme d‟habitude, pour préparer les esprits à « accepter » les atrocités qui vont être commises. C‟est ainsi que le samedi 3 janvier, le général Abdallah Wafy[1] de la Monusco, a affirmé que l‟opération militaire va débuter « à tout moment »[2]. Même son de cloche du côté du général Charles Bisengimana, le numéro 1 de la police nationale congolaise, qui a effectué le déplacement de Goma, officiellement pour organiser la sécurisation des populations au cours des l‟« opération qui va commencer ». La veille, les envoyés spéciaux[3] de la « communauté internationale » affirmaient dans un communiqué conjoint qu‟« il n'y a pas d'autre choix que de mettre en oeuvre l'option militaire »[4]. Bref, il va y avoir une guerre, une de plus, avec les mêmes populations pour cible. Il est pourtant encore possible d‟avoir un peu de lucidité et de faire remarquer que, face aux drames que génèrent des actions militaires, la menace que représente l‟ennemi à combattre doit être suffisamment importante. A ce jour, aucune menace immédiate des FDLR, pour la sécurité du Rwanda, ne justifie l‟empressement à faire usage de la force. Par ailleurs, vis-à-vis du Congo, les FDLR font plutôt profil bas depuis la défaite de leurs adversaires du M23 en novembre 2013. Parallèlement, ils continuent de réclamer un dialogue avec le pouvoir de Kigali pour faciliter leur retour dans leur pays, seule solution durable à la crise. C‟est aussi l‟idée qu‟avait proposé le président tanzanien Jakaya Kikwete en mai 2013 mais que les partisans d‟une option militaire font tout pour occulter. Pourtant, on voit mal quelle solution miracle produirait l‟opération en cours de préparation sachant que, par le passé, les tentatives visant à neutraliser militairement ces maquisards avaient toutes échoué et engendré des drames humanitaires qui minaient pour longtemps les chances d‟une paix durable dans la région. Il faudra ainsi que les gens qui s‟apprêtent à provoquer de nouveaux carnages dans le Kivu soient amenés à en assumer la responsabilité demain, sachant que cette option militaire ne s‟imposait nullement. Par ailleurs, nous ne devrions pas perdre de vue un certain nombre de données de la problématique des FDLR qui peuvent s‟articuler autour des quatre points ci-après : Les FDLR ne sont pas une armée classique. On parle en réalité de groupes de familles hutues. Au premier coup de feu, on est à peu près sûr de tuer ou de blesser une femme, un enfant, un malade,… (des cibles non militaires). Les quelques combattants qui essaient de protéger leurs familles se déplacent, bien entendu, entourés de ces familles. Déclencher une opération militaire contre les FDLR signifie aller commettre des massacres, et il ne saurait en être autrement. Sachant qu‟on ne devrait recourir à l‟option militaire que lorsque toutes les autres sont épuisées, il faudrait que les « va-t-en-guerre » qui appellent à des actions militaires contre les FDLR promettent d‟assumer individuellement les massacres et, inévitablement, les viols et les saccages qui vont être commis en marge de l‟opération qui se profile. Les FDLR sont au maximum une force de 1.300 individus mal équipés, et qui, de l‟aveu même des autorités rwandaises, ne représentent plus une menace sérieuse pour le régime de Kigali, dont l‟armée est décrite comme la plus grande de la région, en termes d‟effectifs[5]. Les membres des FDLR ont commencé à désarmer et ont accepté d‟être regroupés (à Kisangani notamment) dans la perspective de leur retour au Rwanda ou leur installation dans un pays tiers. Nous sommes en face d‟un mouvement affaibli et dont les membres n‟envisagent plus de l‟emporter militairement, ce dont on peut se rendre compte en lisant leur lettre au Secrétaire général de l‟ONU. Déclencher une opération militaire pousserait ceux qui n‟ont pas encore désarmé à se radicaliser, tandis que ceux qui l‟ont déjà fait seraient amenés à reprendre les armes pour voler au secours de leurs camarades. Les chances d‟un règlement pacifique de la crise deviendraient minces pour longtemps. L‟armée congolaise (FARDC), même appuyée par les contingents de la Monusco, n‟est pas en situation de venir à bout des FDLR. La dernière fois qu‟elle a tenté de neutraliser les FDLR ce fut un fiasco monumental. Les opérations Umoja wetu[6], Kimia II[7] et Amani leo[8] ont toutes été des échecs et ont démontré les difficultés qu‟il y a à venir à bout de maquisards qui maitrisent parfaitement le terrain et évitent de se battre. C‟étaient des mouvements de va-et-vient. Les FDLR et leurs dépendants se délocalisaient devant l‟avancée de l‟armée pour s‟enfoncer dans des zones difficiles d‟accès. Les troupes engagées dans les opérations s‟épuisaient à la marche. Elles se sont retirées des zones opérationnelles que les FDLR ont réoccupées par la suite. La guerre en République Démocratique du Congo, quels que soient les motifs officiels avancés, est toujours l‟occasion d‟un accaparement des ressources minières. Le Rwanda qui fait pression sur l‟ONU, pour que l‟opération contre les FDLR soit menée, évite soigneusement d‟évoquer la question du coltan et les bénéfices que de nouveaux troubles dans l‟Est du Congo devraient lui procurer[10]. Pour rappel, le Rwanda est devenu le principal exportateur mondial de tantale/coltan, avec 28 % du total de la production mondiale[11], un minerai qu‟il siphonne dans l‟Est du Congo en y entretenant la guerre en permanence. Si la paix revient dans l‟Est du Congo, le Congo, conformément à la loi Dodd-Frank[12], exporterait lui-même l‟essentiel de ses minerais estampillés « non conflict », ce qui pourrait ruiner l‟économie rwandaise du jour au lendemain.
Le président rwandais sait, par avance, que les opérations contre les FDLR vont échouer, mais qu‟elles vont générer des désordres dans le Kivu. En marge de ces désordres, des groupes armés proches du pouvoir de Kigali, et même certaines unités des FARDC liées au pouvoir rwandais vont relancer la contrebande des minerais à la frontière. Plus stratégique, Kagame sait que Joseph Kabila, son allié à Kinshasa[13], ne sait plus comment légitimer son maintien au pouvoir au-delà de la limite constitutionnelle de 2016, les Congolais ayant refusé toute idée de révision de la Constitution. Relancer la guerre dans l‟Est du Congo offrirait à Kabila une opportunité en or pour légitimer son maintien au pouvoir.
Toutes ces données sont supposées être connues des responsables de l‟ONU, des dirigeants américains, des pays de la SADC et de la CIRGL. Ils sont pourtant au point de cautionner une opération dont tout indique qu‟elle participe de la stratégie du chaos.

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